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PORCELAINE DE ROUEN, 1673-1696
Vendu 200.375,00 euros - Etude Ferri, Drouot, 12 décembre 2007

PORCELAINE TENDRE DE
ROUEN
provenant de la collection WENZ

Vendu 200.375,00 euros

Exceptionnel moutardier couvert en porcelaine tendre de forme cylindrique, le couvercle en forme de dôme, décor en camaïeu bleu de motifs de ferronnerie, draperies suspendues et rinceaux fleuris sur fond de pointillé bleu imitant l’amati, galon formé de fleurs et rubans sur le bord supérieur, l’anse décorée de guirlandes de fleurs et la prise du couvercle décorée d’une fleurette.
Poussoir à coquille en argent.
Manufacture de Louis Poterat.
Dernier tiers du XVIIème siècle, 1673-1696.
Haut. : 9 cm.

ENGLISH TEXT



On se souvenait encore en 1722 que la porcelaine française était née à Rouen.
Savary des Brûlons écrivait dans la première édition du Dictionnaire universel du commerce :
Il y a quinze ou vingt ans que l’on a commencé, en France, à tenter d’imiter la porcelaine de Chine ; les premières épreuves qui furent faites à Rouen réussirent assez bien (...) On ne met pas au rang de faïence de France ces faïences de nouvelle fabrique, ou plutôt ces vraies porcelaines que les Français ont inventées depuis quelques années, et dont il y a eu des manufactures successivement établies à Rouen, à Passy, près Paris, et ensuite à Saint-Cloud ».

Il faut attendre le milieu du XIXème siècle pour que cette information soit redécouverte.
En 1847, André Pottier publie le privilège accordé par Louis XIV à Edmé Poterat au nom de son fils aîné Louis par lettres patentes du 1er octobre 1673. Ce privilège a pour objet d’establir ( ...) une manufacture de toutes sortes de vaisselles, pots & vases de porcelaine semblable à celle de la Chine, & de fayence violette, peinte en blanc & de bleu, & d’autres couleurs à la forme de celle d’Holande (...) et faire construire fourneaux, moulins & ateliers propres pour les dites porcelaines & fayences susdites.
André Pottier, 1847.

On ignore comment les Poterat sont parvenus à trouver le secret de la porcelaine. Chantal Soudée Lacombe a récemment avancé une hypothèse séduisante : les liens possibles entre les Poterat et Jean Chardin, jeune joaillier d’origine rouennaise, parti vendre des pierres au Châh de Perse en 1665 où il releva les procédés de fabrication des céramiques translucides des Séfévides.

Le 19 juin 1694, Louis de Phélypeaux, comte de Pontchartrain charge Lefèvre d’Ormesson, intendant de la Généralité de Rouen, d’établir un rapport sur les manufactures de Louis Poterat et de son frère Michel. Cette enquête mentionne que Louis, le fils aîsné de Saint-Etienne fait de très belles fayences d’Hollande et la porcelaine tandis que son frère Michel et la veuve d’Edmé, s’ils ont aussi ce secret, ils s’en servent très peu s’appliquant davantage à la fayence (...) le fils aisné travaille plus parfaitement qu’eux en porcelaine.

Ainsi, en 1694 encore, Louis Poterat produit toujours de la porcelaine mais il déclare être le seul à posséder les secrets et redoute que les ouvriers ne les pénètrent, que c’est pour cette raison qu’il n’a osé faire jusqu’à présent de la porcelaine fine qu’en très petite quantité et par lui-même, sans le secours d’ouvriers.
La mort de louis Poterat en 1696 met probablement un terme à la production de porcelaine à Rouen à ce moment.

A la suite de la publication d’André Pottier en 1847, l’auteur reçoit une lettre de Riocreux, conservateur du musée de Sèvres : Depuis la publication de votre intéressant Mémoire sur l’origine & la date d’invention de la porcelaine de France, j’ai cherché sans relâche à me procurer un échantillon de cette porcelaine, & j’ai la satisfaction de vous annoncer que je crois l’avoir rencontré. Je ne vous ferai point la description de l’objet, je préfère vous en envoyer un dessin exact. j’appellerai seulement votre attention sur la similitude que présente l’ornementation de cette pièce avec celle des plus anciennes faïences rouennaises, similitude qui se retrouve jusque dans le façonnage, lequel est très rudimentaire. Je n’ai point fait jusqu’ici de recherche pour savoir à quelle famille appartient l’armoirie qu’elle porte, peut-être me le pourrez-vous dire. J’ai acquis cet objet d’un enfant de la Normandie, natif de la ville de Caudebec, qui m’a dit le tenir de famille, où il se serait transmis de père en fils depuis plus d’un siècle.
André Pottier, 1870.identifie les armoiries qui sont celles de Jacques Asselin de Villequier (1669-1728), membre du Parlement de Normandie en 1695.

Ce moutardier, aujourd’hui conservé au musée national de céramiques de Sèvres, est d’une forme identique à celui que nous présentons, la pâte d’une même couleur blanche verdâtre, la décoration de l’anse formée de fleurs et pois est similaire, de même que le fond pointillé bleu imitant probablement l’amati des pièces d’orfèvrerie.
Pour des illustrations du moutardier du musée de Sèvres, voir par exemple Alfassa et Guérin, pl. 2C. Frégnac, p. 38 et 39, et Gilles Grandjean, p. 163, fig. 5-3.

Après l’achat de Riocreux, André Pottier achète à son tour un seau à verre, aujourd’hui conservé au musée de Rouen, d’une décoration très proche du moutardier du musée de Sèvres comportant également ce fond pointillé bleu. Il est récemment publié par Bertrand Rondot et Gilles Grandjean, n° 12, p. 122.

Gille Grandjean mentionne dans cette dernière étude les huit porcelaines de Rouen dont l’attribution est basée à partir du moutardier aux armes d’Asselin de Villequier :
-  Un pot pourri sans couvercle décoré de panneaux en relief et panneaux et bande à fond pointillé bleu, le bord supérieur et la base décorés d’un galon formé de rubans croisés et fleurs sur fond bleu. Ce pot pourri provenant de l’ancienne collection Chavagnac (vente Paris, Me Baudouin, 19-21 juin 1911, lot 4), puis Madame Paul Dupuy, alors reproduit par Alfassa et Guérin, pl. 3a, (vente Sotheby Parke Bernet, 3 avril 1948, lot 356), puis collection R. Thornton Wilson, est aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum de New York.

-  Un pot pourri sans couvercle similaire au précédant aujourd’hui conservé dans une collection privée (vente Drouot, Etude Renaud, 6 décembre 1983, lot 2), reproduit par Chantal Soudée Lacombe, fig. 2, p. 33.

-  Un pot pourri couvert décoré de motifs de ferronneries feuillagés et des mêmes galons à rubans et fleurs sur fond bleu, dans l’ancienne collection Ernest Masurel, publié par Alfassa et Guérin, pl. 1.

-  un sucrier balustre couvert, décoré de semis de bouquets de fleurs et fleurs, de rinceaux feuillagés et de galons à rubans et fleurs sur fond bleu ayant fait partie des anciennes collections Dupont-Auberville, Le Breton puis Tumin, publié par Alfassa et Guérin, pl.2 b et par Gilles Grandjean, fig. 5-5, p. 64.

-  Un pot cylindrique décoré de bouquets et fleurettes comme le couvercle du sucrier, dans l’ancienne collection Laniel, reproduit par Alfassa et Guérin, pl. 2a et Gilles Grandjean, fig. 5-7, p. 65.

-  Un vase ovoïde décoré de cygnes, rinceaux feuillagés, lambrequins, dais et motifs de ferronnerie conservé au musée de Saumur et reproduit par Bertrand Rondot et Gilles Grandjean, n° 14, p 123 et Chantal Soudée Lacombe, fig. 3, p. 33.

Le moutardier que nous présentons a en commun avec ces pièces, outre la même teinte verdâtre de pâte et d’émail, ces mêmes galons formés de fleurs et rubans croisés sur fond bleu, l’emploi du motif pointillé bleu et les motifs de ferronnerie que l’on retrouve également sur la faïence de Rouen.

Ce moutardier, inédit à ce jour, par sa très grande rareté, par son décor français, sans influence chinoise, presque entièrement sur fond pointillé bleu à l’exception de l’anse et des parties saillantes, par son importante pour l’histoire de la porcelaine européenne et par son parfait état de conservation est une porcelaine qu’il convient de qualifier d’exceptionnelle.


Bibliographie :
André Pottier, « Origine de la Porcelaine en Europe », Revue de Rouen et de la Normandie, février 1847.

André Pottier, Histoire de la Faïence de Rouen, publication posthume en 1870, p. 97.

M.L. Solon, « The Rouen Porcelaine », Burlington Magazine, 7, n° 26, mai 1905.

Paul Alfassa et Jacques Guérin, Porcelaines françaises du XVIIe au milieu du XIXème siècle, s.d, vers 1930,

Xavier de Chavagnac et Gaston de Grollier, Histoire des manufactures françaises de porcelaines, Paris, 1906, p. 1-7.

Frégnac, Les Porcelainiers du XVIIIème siècle français, 1964,

Gilles Grandjean, « The Porcelain of Rouen »¸ Discovering the Secrets of Soft Paste Porcelain at Saint Cloud Manufactory, ca. 1690-1766, Bard Graduate Center for the Studies in the Decorative Arts, New York, 1999, (ouvrage collectif sous la direction de Bertrand Rondot)

Chantal Soudée Lacombe, « L’apparition de la porcelaine tendre à Rouen chez les Poterat, l’hypothèse protestante ? », Sèvres, Revue de la société des Amis du Musée national de Céramique, n° 15, 2006, p. 29-35.